Retour en grâce du vinyle ?
Vous avez certainement entendu parler du come-back du vinyle ces huit dernières années. Un marché florissant, direz-vous, surtout en lisant que Jack White vient de battre le record du vinyle le plus vendu depuis 1994. Eh bien pas du tout. Certes, en 2013, les ventes de LP ont bondi de 32% aux Etats-Unis. En France, on est passés de 145 010 vinyles vendus en 2006 à 329 439 l’an dernier.
Mais la face B de ce retour montre une chose : l’industrie du vinyle est à la bourre et beaucoup de labels et de consommateurs sont complètement largués.
Les presses à vinyles ont quarante ans
Il faut savoir une chose : les vinyles que l’on fabrique aujourd’hui sont les mêmes que ceux qui étaient fabriqués il y a 50 ans. Même procédé, mais surtout mêmes machines. Les presses et les graveuses qui tournent en usine pendant que vous lisez cet article fonctionnaient déjà il y a belle lurette.
Le problème, c’est que plus personne n’en fabrique de nouvelles. Pas assez rentable. Car le retour du vinyle est relatif. « Au plus fort du vinyle, une petite commande en usine, c’était 10 000 exemplaires. Faire une commande d’un million, ça pouvait arriver », lance Benjamin Joubert, ingénieur-son au très pointu studio Translab à Paris, et spécialisé dans le mastering et la gravure de vinyles (un des rares à détenir cette dernière compétence en France). Aujourd’hui, une commande normale, c’est 500 exemplaires.
Aucun industriel ne se risque donc à se lancer dans la fabrication de presses ou de graveuses. « Si c’est pour vendre quatre graveuses... », déplore Benjamin Joubert.
Par exemple, MPO, usine française fondée en 1967 et leader national en son domaine, anciennement leader mondial, compte aujourd’hui seize presses contre 50 dans les années 80. Vladimir Négré, responsable marketing à MPO, explique :
« Quand les ventes de vinyles ont chuté, au début des années 90, l’entreprise a revendu la moitié de ses presses en Afrique. D’autres ont été démontées et stockées. Ce sont ces dernières que nous avons dû remettre en état pour répondre à la demande de ces dernières années. »
Les usines qui n’ont pas anticipé le retour du vinyle se retrouvent complètement dépassées, faute d’avoir conservé leurs machines. Alors, quand une presse ou une graveuse arrive sur le marché, les usines se l’arrachent, explique Benjamin Joubert :
« Dans l’usine Optimal, en Allemagne, la moitié des presses ne sont pas en service. Elles ont seulement été achetées pour ne pas finir entre les mains de la concurrence ou pour fournir des pièces de rechange. »
Optimal est le nouveau leader européen sur le marché et dispose de 33 presses.
Travail dans l’urgence
Conséquence de cette difficulté à répondre à l’engouement actuel : les délais de pressage sont très longs. Rien d’étonnant à ce que votre vinyle tant attendu mette des mois à arriver à la Fnac (pour le dernier M.I.A., il a fallu attendre trois mois pour qu’il soit à nouveau disponible à la Fnac de Montparnasse, à Paris). Lorsque ces magasins passent commande, ils garantissent parfois des délais calés sur la version CD, qui est produite beaucoup plus rapidement. Les commandes peuvent donc être annulées, puisque la version CD est disponible, mais pas la version vinyle.
Chez MPO, Vladimir Négré tempère :
« On arrive à ne pas avoir trop de retards mais les délais sont longs, effectivement. A plein régime, nous pouvons presser jusqu’à 45 000 vinyles par jours. »
Résultat, l’usine tourne presque toujours 7 jours sur 7, 24 heures sur 24 avec le système des 3-8. Mais au manque de presse s’ajoute un autre problème.
Auparavant, on lançait les presses pour 10 000 exemplaires et ça tournait. Aujourd’hui, les commandes de 500 vinyles font que les machines doivent être recalibrées en permanence. Tout le travail de galvanoplastie qui précède le lancement de la production d’une référence et la mise en route des presses prend du temps. Plus de références à produire en petite quantité, plus de travail de préparation, plus de délais. Benjamin Joubert ajoute :
« S’il y a un problème avec les presses ou en amont avec le mastering, par exemple, il faut tout refaire. Ça coûte de l’argent. C’est pour cela que les intermédiaires font très peu de marge, que c’est un business risqué et que peu de gens investissent. »
Ajoutez à cela le fait que la laque nécessaire à la fabrication du vinyle type, celui qui est gravé juste après le mastering (la dernière étape studio), n’est disponible que chez deux fournisseurs. L’un est Anglo-Américain, l’autre Japonais. Benjamin Joubert raconte :
« Il y a peu de temps, le fournisseur anglais a dû changer quelque chose dans le processus de fabrication de la laque, sauf que ça ne convenait plus aux graveurs. Résultat, tout le monde s’est tourné vers les Japonais, qui se sont retrouvés surchargés. Il faut parfois trois semaines d’attente pour avoir les laques désormais. »
Sans oublier qu’entre l’apogée du vinyle et son retour récent, des produits nécessaires à leurs productions ont été interdits par l’Union européenne.
« En usines, ils n’écoutent pas les tests-pressing »
Avant de lancer les presses, il faut s’assurer de la bonne réalisation du master (les laques) et de la bonne fabrication des moules conçus à partir de ce dernier, sorte de bons à tirer. On appelle cela un test-pressing, et c’est une étape clé dans le résultat sonore final.
Mais travailler dans l’urgence a des conséquences. « La plupart du temps, ils ne font pas de test en usine, ils n’écoutent pas le test-pressing, où alors ils le survolent. S’il y a une erreur, ils peuvent passer à côté », avance Benjamin Joubert.
Ce que MPO ne réfute qu’à moitié via Vladimir Négré :
« Il y a un employé qui est toute la journée dans une pièce dédiée au test-pressing et située à côté des presses. De là à garantir que tous les tests-pressing sont réalisés... »
C’est un peu comme lancer une production d’aliments sans les goûter. Sauf que le public a du goût, alors que l’oreille et l’écoute se perdent avec les formats numériques. Donc ça passe mieux.
Dans le temps, lorsque les usines pressaient par exemple 20 000 exemplaires d’un disque, les 500 premiers partaient à la poubelle. Les machines n’avaient pas encore eu le temps de chauffer, ce qui donnait des premiers vinyles de qualité plus aléatoire. Aujourd’hui, ce sont ces 500 vinyles que l’on commercialise.
Difficile de blâmer les usines de vouloir réduire les coûts quand personne ne veut investir. Et puis, bien des vinyles de bonne qualité sonore sortent dans le commerce, lorsque le processus est bien respecté.
Parfois, les artistes ne se préoccupent pas tellement non plus du rendu sonore des galettes qu’ils commercialisent. Benjamin Joubert :
« Un musicien français très connu voulait un vinyle avec deux faces complètement déséquilibrées en termes de timing : face A, 15 minutes et face B, 22 minutes. Techniquement, ça n’a pas de sens, la durée d’une face agit directement sur son volume sonore. Donc j’ai fait déterminer le volume général en fonction de la face la plus longue, mais cela nuit à la qualité générale. Trois semaines plus tard, son label me rappelle pour me dire que finalement, ils veulent un double, donc quatre faces de dix minutes.
Il y a pas mal de légendes qui tournent autour de la fabrication des vinyles, beaucoup pensent que moins une face est chargée, plus la qualité est bonne. Mais c’est ça n’est pas nécessairement le cas. Donc je lui ai fait ses quatre faces, mais on n’a pas gagné en qualité. »
Et en général, les artistes ne prennent pas la peine de venir au studio écouter le mastering vinyle (qui doit être bien spécifique, différent du mastering CD).
Ecoute-t-on un vinyle ou un objet de mode ?
Pour Grégory Pezard, créateur de Squeezer, entreprise qui assure le lien entre les labels et les usines de pressage et d’impression du packaging, le problème vient aussi de la méconnaissance de l’industrie du vinyle par les professionnels de la musique, à savoir les labels, les artistes...
« Aujourd’hui, il y a un tas de nouvelles options proposées aux labels : vinyles de couleurs, “picture discs”, code MP3 pour avoir l’album aussi en numérique... Etant donné que les usines ne font pas de conseil en stratégie marketing, puisque ça n’est pas leur rôle, certains se plantent, il sont largués et dépensent trop en option. D’autres se retrouvent avec des vinyles sur les bras, ou préfèrent faire 500 vinyles, quitte à en represser 500 derrière, ce qui est beaucoup plus cher que d’en faire 1 000 d’un coup. C’est là qu’on intervient. »
Devant ces mésaventures liées à la perte de la culture vinyle, au délai de production et aux volontés des artistes parfois mal aiguillées, certains labels ont même pensé laisser tomber le vinyle.
Quelques maisons de disques ou artistes contactent Squeezer en demandant de faire presser et imprimer 100 vinyles. Impensable. Vladimir Négré ajoute :
« On peut presser à 300 exemplaires, mais ça va coûter aussi cher que 500. »
Ce à quoi Grégory Pezard répond :
« On arrive à obtenir des presses de 300 un peu moins chères que la normale, c’est notre rôle. »
« Parfois, des labels reviennent me voir en me disant que le mastering ne leur convient pas, mais c’est souvent parce qu’ils l’ont écouté sur un matériel mal réglé », raconte Benjamin Joubert. Le vinyle est peut-être de retour, mais ça n’est pas forcément le cas pour son expertise.
Si cette difficulté pour les labels de s’y retrouver pousse Squeezer à faire du conseil, elle lance aussi une question fondamentale : pourquoi les labels pressent-t-ils du vinyle ? Pour faire du bénéfice ? Pas sûr du tout lorsqu’on voit les volumes de vente aussi bas, même s’ils sont en augmentation.
Grégory Pezard continue :
« Toute cette mode amène un marché de l’objet. Le vinyle peut servir de produit d’appel pour un artiste, il est souvent vendu avec les T-shirts du groupe à la sortie du concert, comme un souvenir. Ça peut être une bonne stratégie pour un label ou pour un groupe pour se faire un nom. Certains collectifs font de la sérigraphie, s’occupent eux-mêmes des pochettes et de l'artwork, ça peut être un vrai plus. »
Mais ça n’est pas parce que c’est du vinyle que ça sonne forcément mieux. Benjamin Joubert conclut :
« Il y a d’excellents vinyles qui sortent, beaucoup de gens sont prêts à prendre le temps pour vendre de la qualité. Mais souvent, c’est vraiment du “merchandising” sans volonté de faire du bon son ou même des rentrées d’argent. J’entends souvent des défauts qui auraient pu être aisément corrigés en studio. On rajoute un autocollant “ 180 grammes ” sur la pochette pour faire joli, c’est comme un label qualité, mais le grammage dépend de ce qu’il y a sur le vinyle, ça n’est pas un gage de bon son.
Cela me fait dire que le retour du vinyle, c’est une vaste blague, et surtout, un faux business. »